Disparu en 1981, à l’âge de 51 ans, Xavier Grall fut journaliste, poète, romancier. Mal édité, mal lu, on le range volontiers dans la catégorie des poètes à tirage limité. Il a pourtant marqué toute une génération qui se reconnaît dans ses textes et dans sa célébration de la terre bretonne. Personnage incontournable, nous lui consacrons à nouveau un article après celui que nous lui avons dédié fin janvier (à retrouver ici).
Né à Landivisiau en 1930, Xavier Grall étudie à l’Ecole de Journalisme de Paris.
Écrivain précoce, catholique et rebelle, il consacre des livres à Bernanos et Mauriac mais aussi à James Dean et à La génération du Djebel. À 40 ans, il rêve d’un retour au pays natal, accompli en 1973. Installé près de Pont-Aven avec sa femme et ses 5 filles “mes Divines” il milite activement pour la modernité de la culture bretonne.
Parmi la vingtaine de livres qu’il a écrit, on se souvient du «Cheval Couché» écrit en réaction au Cheval d’Orgueil de Pierre-Jakez Helias. Mais, pour ses lecteurs, c’est l’œuvre poétique qui reste au premier plan.
Qui se cache derrière ce personnage de barde enflammé ? Quelle est la boussole qui lui fait traverser un demi-siècle avec autant de révolte et de poésie ? En retraçant son itinéraire, le portrait de Xavier Grall fait surgir les contradictions d’un homme qui cherche sa liberté, écartelé entre sa foi et l’institution religieuse, entre son ambition littéraire et sa vie de famille, entre sa soif de reconnaissance à Paris et son besoin de vivre en Bretagne, entre ses désirs de pureté et les excès qu’il inflige à sa santé. Cet itinéraire est le récit d’une passion littéraire et d’une passion bretonne. Destin tragique de cet homme disparu trop tôt et qui paraît sans cesse tourmenté par l’héritage qu’il a reçu, l’empreinte qu’il cherche à laisser.
« SOLO », l’un des plus beaux poèmes de la langue française. Xavier Grall l’écrit peu de temps avant sa mort, comme un testament et une adresse à Dieu, une prière en sachant qu’il va mourir, et qu’il veut une dernière fois saluer tout ce qu’il a aimé pendant cette vie. Poème magnifique et trop méconnu.
Extrait de: « Solo »,
Seigneur me voici c’est moi
je viens de petite Bretagne
mon havresac est lourd de rimes
de chagrins et de larmes
j’ai marché
Jusqu’à votre grand pays
ce fut ma foi un long voyage
trouvère
j’ai marché par les villes
et les bourgades
François Villon
dormait dans une auberge
à Montfaucon
dans les Ardennes des corbeaux
et des hêtres
Rimbaud interpellait les écluses
les canaux et les fleuves
Verlaine pleurait comme une veuve
dans un bistrot de Lorraine
Seigneur me voici c’est moi
de Bretagne suis
ma maison est à Botzulan
mes enfants mon épouse y résident
mon chien mes deux cyprès
y ont demeurance
m’accorderez vous leur recouvrance ?
Seigneur mettez vos doigts
dans mes poumons pourris
j’ai froid je suis exténué
O mon corps blanc tout ex-voté
j’ai marché
les grands chemins chantaient
dans les chapelles
les saints dansaient dans les prairies
parmi les chênes erraient les calvaires
O les pardons populaires
O ma patrie
j’ai marché
j’ai marché sur les terres bleues
et pèlerines
j’ai croisé les albatros
et les grives
mais je ne saurais dire
jusqu’aux cieux
l’exaltation des oiseaux
tant mes mots dérivent
et tant je suis malheureux
Seigneur me voici c’est moi
je viens à vous malade et nu
j’ai fermé tout livre
et tout poème
afin que ne surgisse
de mon esprit
que cela seulement
qui est ma pensée
Humble et sans apprêt
ainsi que la source primitive
avant l’abondance des pluies
et le luxe des fleurs
Seigneur me voici devant votre face
chanteur des manoirs et des haies
que vous apporterai-je
dans mes mains lasses
sinon les traces et les allées
l’âtre féal et le bruit des marées
les temps ont passé
comme l’onde sous le saule
et je ne sais plus l’âge
ni l’usage du corps
je ne sais plus que le dit
et la complainte
telle la poésie
mon âme serait-elle patiente
au bout des galantes années ?
Seigneur me voici c’est moi
de votre terre j’ai tout aimé
les mers et les saisons
et les hommes étranges
meilleurs que leurs idées
et comme la haine est difficile
les amants marchent dans la ville
souvenez-vous de la beauté humaine
dans les siècles et les cités
mais comme la peine est prochaine !
Seigneur me voici c’est moi
j’arrive de lointaine Bretagne
O ma barque belle
parmi les bleuets et les dauphins
les brumes y sont plus roses
que les toits de l’Espagne
je viens d’un pays de marins
les rêves sur les vagues
sont de jeunes rameurs
qui vont aux îles bienheureuses
de la grande mer du Nord
Je viens d’un pays musicien
liesses colères et remords
amènent les vents hurleurs
sur le clavier des ports
je viens d’un pays chrétien
ma Galilée des lacs et des ajoncs
enchante les tourterelles
dans les vallons d’avril
me voici Seigneur devant votre face
sainte et adorable
mendiant un coin de paradis
parmi les poètes de votre extrace
si maigre si nu
je prendrai si peu de place
que cette grâce
je vous supplie de l’accorder
au pauvre hère que je suis
ayez pitié Seigneur
des bardes et des bohémiennes
qui ont perdu leur vie
sur le chemin des auberges
nulle orgue grégorienne
n’a salué leur trépas
pour ceux qui meurent
dans les fossés
une feuille d’herbe dans la bouche
le cœur troué d’une vielle peine
de lourdes larmes dans le paletot
et dans les veines des lais et des rimes
Seigneur ayez pitié !
Solo et autres poèmes » (1981) / Recueil de poésie dont « Solo » est le poème le plus long (environ cinquante pages).
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